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#5 Bricedu :
pochoiriste bien léché

Après avoir passé la façade décorée par plusieurs dizaines d’oeuvres, c’est au fond d’un temple du street art Montreuillois qu’on découvre Bricedu dans sa tanière à l’Atelier des Epernons.

“J’aime à m’amuser et jouer des codes. Pour le coup le street art et la rue c’est un espace de jeu infini.”

Qu’est-ce qui est important quand on parle de soi ? Je vais commencer par l’âge : j’ai 43 ans je suis papa de 2 enfants : un enfant de 23 ans et une petite fille de 3 ans. Et je vous reçois aujourd’hui à la maison, à l’atelier.

Je suis pochoiriste, je m’essaie au graffiti, au muralisme, aux stickers bref j’essaie un peu tout support. L’idée c’est de se marrer, de faire marrer les autres tout en essayant de véhiculer les valeurs qui m’animent. J’ai des accointances avec les idées anarchistes, je suis végétarien sans être un militant énervé de la chose. J’aime à m’amuser et jouer des codes. Pour le coup le street art et la rue c’est un espace de jeu infini. J’ai l’impression de retrouver mes 20 piges, c’est que du bonheur. J’essaie de partager en accueillant des artistes et en cogérant le lieu avec d’autres. En étant ensemble on est plus fort, on essaie de proposer des espaces de création assez incroyables à pas cher. On peut travailler sur des grands volumes avec un partage qui coûte mais qui est juste.

Pour etre clair mon atelier est à 300€ par mois et quand un copain vient de l’extérieur pour faire un grand volume par exemple c’est assez simple. Dans un mois il y a 30 jours ça fait 10€/jour donc le copain il vient, il met 10€ si il peut mettre que 5 il met 5, si il met walou il met walou…mais si il met 10 c’est bien.

On voit bien l’idée mais alors qui sont les copains parce qu’il y a beaucoup de monde ici ?!

L’association historique c’est ETR. Elle gère le lieu. Il y a 25 ans ETR c’était le condensateur 1, celui où il y a maintenant les locaux Air France à Porte de Montreuil . Ça a duré une bonne quinzaine d’années avant d’être expulsé du lieu. L’atelier des Epernons est donc issue du condensateur 1.

“Le deal c’était de faire vivre le lieu et de s’ouvrir.”

 Le condensateur 1 ce n’était pas un lieu uniquement de street art non ? 

C’était un lieu d’expériences diverses et artistiques. C’était un studio de musique, un lieu d’impression. C’est là où a débuté la belle maison d’édition L’insomniaque qui a sortit beaucoup de textes d’orientation anarchiste notamment contre la prison et l’enfermement ou encore sur le chiapas. Le président de l’association ETR est un des membres fondateurs de cette maison d’édition. Quand ce premier lieu a fermé, une partie de l’équipe a récupéré l’Atelier des Epernons il y a 23 ans.

En septembre 2016 on m’a invité avec un autre ami à occuper l’espace. Le deal c’était de faire vivre le lieu et de s’ouvrir. L’idée de faire partager, de faire péter un tel espace ça me correspondait tout à fait. On s’est mis en tête de faire des trucs de dingue et on a commencé à faire des petites expos, à inviter des copains en recherche de lieux à peindre. Au bout d’un moment une expo où tu mets des tableaux aux murs c’est un peu bateau, le lieu mérite mieux. On s’est alors dit qu’on allait en foutre du sol au plafond, en mettre partout. On a invité plein de monde et entre les amis, les connexions qu’on avait déjà et la “magie des réseaux sociaux” on a réussi à connecter des personnes comme Eddie Colla qui ont une certaine renommée mais aussi des personnes qu’on ne connaissait pas forcément mais dont on apprécie le travail.

Au fur et à mesure des places ont continué à se libérer, petit à petit on a favorisé l’émulation avec des ateliers libres de différents artistes.

Tu dirais que vous êtes passé d’une culture de la discrétion à un côté plus plaque tournante ? 

On n’est plus sur une activité militante, on fait de la peinture. On a beau faire un poing levé on ne va pas appeler ça une activité militante. On est sur une activité artistique : des ateliers avec des enfants, des expositions et des moments de partage comme avec du light painting.

L’atelier est occupé par Barny qui est un Montreuillois pur souche et qui pratique le pochoir et le rehausse au pinceau. Il bosse beaucoup avec la ville de Montreuil, il a travaillé avec un bailleur HLM. Il est en train de travailler sur d’autres projets dont on va entendre parler et qu’on verra dans la ville.

On a 2 copines qui font des bijoux à base de matériaux recyclés, elles découpent des bouteilles de Badoit, de Perrier et des canettes. Elles font des cendriers, des bijoux. Elles débutent et sont en train d’essayer de monter leur structure. Ici ça leurs permet de pouvoir travailler et puis il y a Thai, une artiste espagnole qui travaille à la mine de plomb et au fusain sur des portraits et des scènes de la vie quotidienne ou des scènes politiques.


Il y a aussi Mihael qui est un artiste serbe qui peint à l’huile et qui est actif aussi quand il faut donner un coup de main. On est des artistes mais on est aussi des personnes qui sont attentives au sens commun dans un bâtiment collectif et dans la vie. C’est important d’avoir des individualités qui sont sensibles à la chose commune et en l’occurence notre projet de tenir un lieu.

Donc l’activité militante a été un peu dissoute au profit d’une démarche artistique collective. Tu ne m’avais pas parlé également que vous accueillez des réfugiés à une époque ? 

Il y a eu une passerelle avec le collectif des 3 couronnes durant l’été. On a accueilli pendant 3-4 mois 2 personnes qui venaient de Côte d’Ivoire et qui cherchaient à avoir le statut de réfugié. Une des personnes cherche à s’intégrer sur le territoire et l’autre après un périple de dingue en passant par la Lybie, l’Italie et finalement la France, a décidé de retourner au pays. Notamment après les échanges qu’on a eu. Initialement je suis travailleur social de formation. Ça faisait 3 ans qu’il était sur la route qu’il n’avait pas vu sa famille, après avoir discuté avec lui des différentes options, il a décidé de retourner au pays. C’était une belle initiative du pavillon ETR portée par Agathe et Robin.

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Tu nous parles beaucoup du lieu et de ses occupants mais peu de toi. Tu es également artiste et même si tu n’es pas 100% Montreuillois, on a quand même vu certaines de tes oeuvres avec Jérôme Mesnagers. Tu nous parles de ta démarche artistique ?

Pour Jérôme j’ai un peu piraté la place. Je sais qu’il a un atelier juste à côté, je passe régulièrement devant. J’ai cherché à passer le saluer mais pendant les portes ouvertes j’étais à l’Atelier des Epernons donc c’était pas évident pour se croiser. Je l’avais invité à venir comme d’autres artistes Montreuillois pour le Chaos Son emploi du temps n’était pas compatible et du coup quand il a posé son bonhomme blanc avec son menu en face d’un restaurant, j’ai vu cet espace vide avec ce carré et j’ai vu ma vache comme une évidence. Je lui ai passé un coup de fil et il a validé le projet. Il a un peu tiqué que ce soit en face du restaurant mais c’est passé.

“Un toy c’est à dire le graffiti qui vient bâcler et casser l’oeuvre.”

Tu es assez respectueux pour appeler l’artiste. Tu n’as pas forcement tous les numéros de telephone des personnes à côté desquelles tu poses ?

Non seulement je n’ai pas tous les numéros mais c’est plutôt mal vu. On peut considérer que c’est une oeuvre en soi et donc tu n’as pas à ajouter quelque chose à la composition d’un autre sinon ça s’appelle du “toyage”. Un toy c’est à dire le graffiti qui vient bacler et casser l’oeuvre.

Vers Signac je crois qu’il y a quelques “toy” sur un monsieur Chat il me semble… 

Toyer Monsieur Chat, tu ne t’attaques pas à un crew de fou réputé pour son extreme violence dans la chasse à celui qui l’a toyé.

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Si tu dis ça ça signifie qu’il y a des crew plus virulents dans le street art…

Oui. Il y a des gens qui le font et qui font du bien aussi parce qu’il faut qu’il y ait un minimum d’organisation et de codes. Il y a de la place pour tout le monde. La ville est suffisamment grande pour ne pas se coller les uns après les autres. On a pas à profiter de la notoriété de certains pour venir coller sa petite merde parce qu’a chaque fois qu’on prendra la photo du truc bah il y aura ta petite merde à côté. Toi tu viens gratter en mode parasite. Y a un travail de composition, t’aimes, t’aimes pas, tu peux critiquer mais en tant qu’artiste tu te dois de pas toyer sinon il y a les foudres de la rue qui peuvent s’abattre sur toi. C’est chiant quand tu as trouvé un bel espace, que tu as posé ton truc puis tu vois sur les réseaux sociaux que pouf pouf pouf il y a plein de petits trucs qui viennent se greffer. C’est un peu dommage, ça manque de créativité.

“Aujourd’hui c’est sûr qu’il y a une forme de militance de consommateur. C’est triste à mourir de se dire que c’est le peu de militance qu’il reste. “

A Montreuil j’ai fait 2-3 petites sorties. Il y en a qui ont été recouvertes mais il y en a encore des vivantes. J’ai fait une série d’extincteur du côté de Croix de Chavaux notamment. La sécurité c’est important [rires]. J’ai aussi fait des abeilles et des “I’m not a Burger” vers la caserne des pompiers.

Tu es militant donc ? Peut-être plus vraiment politique mais militant alimentaire ?  

Aujourd’hui c’est sûr qu’il y a une forme de militance de consommateur. C’est triste à mourir de se dire que c’est le peu de militance qu’il reste. Je vais un peu loin sur les seuils de militance qui restent là… Y a plein de militants, vive les militants ! En tout cas l’humour, la dérision et le choix de relation que tu as aussi avec les autres tout comme le partage c’est autre chose que de la militance pure et dure. C’est plus un choix de vie mais tout ça reste cohérent.

Pour être cohérent et si on revenait à la photo que tu as choisi pour illustrer ton portrait ? 

Y a un petit côté usine et urbex sur cette photo. J’ai adoré le mouvement des rave parties qui prenait possession le temps d’un jour, deux nuits, une semaine d’un lieu en général très urbex. J’ai eu à squatter parce que de 17 à 20 piges grosso modo j’étais en grande difficulté. J’ai sillonné un peu l’Europe à chercher des zones oubliées et perdues pour se cacher, y vivre mais aussi créer, se retrouver et faire autre chose. Les couleurs ça fait peinture de nature morte mais aussi nature vivante, avec la nature qui reprend son droit. Il y avait une usine il y a quelques temps qui a tourné et puis en premier plan on voit les fleurs qui sont là et qui reprennent. Si on reprend la même photo dans 100 ans il y aura plus rien, il y aura que de la nature. C’est un peu l’espoir.

Tu sais que le rituel de ce blog c’est de partager ses bons plans sur Montreuil ? 

Quand tu es un peu attentif à ce que tu manges c’est un peu difficile de trouver des spots pour craquer un bout sympa. Soit tu vas tout de suite sortir un billet un peu imposant donc j’ai plutôt tendance à ramener ma gamelle.. Ensuite pour les sorties sur Montreuil, il y a des fois où je m’ouvre mais je suis plutôt un ours. Un ours qui a sa caverne et qui y invite les gens ça lui permet de gérer sa relation au monde et de le rendre un peu sociable. Je ne vais pas forcement retrouver cela dans un environnement nouveau.

Ensuite Montreuil j’y ai travaillé, je la vois évoluer, je vois son réseau associatif et les tensions qui l’habite. En même temps la beauté de tout ce qui s’y passe ce sont toutes ces personnes et ces communautés (même si je n’aime pas ce mot) qui y vivent. L’histoire de la ville est riche. Voir comment tout ça résiste à la paupérisation et au Grand Paris c’est intéressant. Nous quand on va disparaitre, ce sera rasé, jardin avec des arbres de plus de deux cent ans compris, on va construire des immeubles standards de type Kaufman & Broad. Une nouvelle population contre laquelle j’ai pas grand chose mais avec laquelle je n’ai pas grand chose à voir niveau… pouvoir d’achat. Ils vont venir occuper ces espaces là et transformer la ville : c’est imminent et irrévocable.

Tu ne penses pas que cela puisse coexister et que cet esprit soit sauvegardé ?

Tout le monde le souhaite et notamment ceux qui ont acheté ici. Ils sont très rares ceux qui vivent à Montreuil en ce disant “vivement que toute cette population mixte et joyeuse se barre, vivement qu’on ait que des bobos”. Je pense que la grande majorité sont attaché à l’environnement dans lequel ils ont acheté leur maison. Ils sont venus chercher cette qualité de vie, cette identité. Ils sont rares mais y en a ceux qui ont vraiment que des coups metro, Grand Paris, 10 ans tac tac. Il y a des gens, et c’est la force de Montreuil,qui sont venus chercher et peut etre même renforcer l’identité Montreuilloise qui n’est pas figée. Elle n’était pas la même il y a 10, 20, 30 ou 50 ans. Je n’ai jamais vraiment été Montreuillois mais à chaque fois que j’ai eu à travailler sur Montreuil j’ai ressenti ce sentiment d’ouverture et de partage.

Est-ce que tu as un petit mot de la fin ? Un evenement prochainement ?

On va continuer a essayer de faire des expos. Ici en plus à l’Atelier on a Paddy  qui est peintre, pochoiriste artiste graffeur qui fait un peu de tout mais surtout surtout de la pin up 

Il y a Max qui est un copain qui fait des tables de jeu de plateau Warhammer. Il peint des personnages des corps et met tout ça en scène. Il y a Vincent qui a fait le Gremlins en face. Il est tatoueur graffeur, dessinateur. C’est lui qui a animé l’évenement light painting avec son ami Wan au mois de décembre.

Ici aussi il y a Vlad qui fait des sculptures numériques qui monte des meubles avec des écrans tactiles et construit des applications MIDI. Robert est là depuis longtemps. C’est un artiste peintre génial qui est mathématicien et qui met des énigmes dans ses peintures. Il y a aussi le fond de la classe qui est un collectif qui fait des vidéos et qui a fait pas mal de courts métrages et de clips.

On est bien. Il faut qu’on arrive a générer collectivement des choses biens. On fait désormais des cantines avec des repas collectifs une fois par mois. On va aussi continuer les expos et des evenements un peu fous où on invite plein d’artistes à peindre partout où c’est possible.